BAIKAL A BICYCLETTE
Une remontée
à VTT du lac Baïkal gelé
Dans le cadre de
sa traversée de la Russie à bicyclette, le Colmarien Guy
JEANDON a effectué, du 1er au 17 avril 1997, la remontée
du lac Baïkal. Avec son VTT à pneus cloutés, il a
relié Listvianka ( au sud ) à Sévérobaïkalsk
( au nord ) et a parcouru plus de 600 kilomètres en roulant directement
sur le lac gelé.
Voici le récit de son aventure :
Le lac Baïkal
est peut-être le plus bel endroit de Russie, la 'Perle de Sibérie',
dans un écrin de montagnes sauvages. Sa faune ne ressemble à
nulle autre, les trois-quart des 2000 espèces marines qui y vivent
ne se trouvent nulle part ailleurs. Ici évoluent entre autres
le 'nerpa', unique phoque d'eau douce, et l'omoul, un délicat
cousin de la truite.
Le lac est le plus
ancien du monde, le plus profond ( 1637 mètres ), la plus grande
réserve d'eau douce de la planète ( 20% ) et la transparence,
la pureté cristalline de ses eaux permet de voir le fond à
quarante mètres. Attention, vertige !
En forme de croissant
sur 640 kilomètres de longueur, le Baïkal est aussi, de
janvier à avril, la plus grande patinoire du monde...
Le lac gèle
dans son ensemble en janvier et la banquise persiste jusqu'à
fin avril. En ces mois, couvert d'une épaisseur de glace jusqu'à
un mètre et plus, il sert de route, reliant les petits villages
entre eux. En 1904, lors de la guerre Russo-Japonaise, une voie ferrée
a même été posée sur le lac afin d'acheminer
plus rapidement les troupes au front.
Mais des courants
chauds et des colonnes d'eau thermale amincissent la glace en de nombreux
endroits et le fond du Baïkal est un cimetière de camions,
de voitures et de leurs occupants. Passer à travers la glace
ne pardonne pas !
Cette année
l'hiver a été clément, la neige inhabituellement
abondante et la glace est mauvaise, peu épaisse. Dix-sept véhicules
ont déjà été happés par le gouffre.
De plus, le printemps est en avance, les températures anormalement
élevées et la glace est déchirée : des failles
courrent sur plusieurs kilomètres, lignes d'eau qui s'élargissent
de jour en jour. Le franchissement de ces fractures ouvertes sera un
des points délicats du voyage. Les voitures ne circulent plus
dans la moitié sud du lac.
Par le passé,
deux expéditions russes ont relié avec succès,
à bicyclette, les extrémités du lac gelé.
Un étranger, jamais. Il y a un mois, une équipe de trois
Russes a échoué dans sa tentative et aujourd'hui peu de
personnes seraient prêtes à miser ne serait-ce qu'un kopeck
sur ma réussite.
La première
faille
1er avril, 8 heures
du matin : une fourgonette poussive, sur laquelle on peut encore lire
une publicité strasbourgeoise ( le monde serait-il donc petit
? ) nous emporte, mes amis Sibériens et moi-même, vers
Listvianka, point de départ de cette excursion. Andreï et
Boris, géologue et alpiniste, ont une forte expérience
du lac et vont m'accompagner quelques jours en Bourane, la motoneige
locale, jusqu'à ce que je me familiarise avec la glace et ses
pièges. L'étape du jour sera courte, une vingtaine de
kilomètres, une prise de contact. La datcha de Valery, à
Bolchoï Koty ( Grand Chat ) sera notre camp de base. Je n'ai qu'à
suivre les traces des Bouranes, mais la couche de neige fraîche
gène ma progression ; je dérape souvent malgré
les pneus cloutés et il me faut parfois marcher en raison de
congères.
Bolchoï Koty,
qu'aucune route terrestre ne permet de joindre, est un village de pêcheurs
scindé en deux par une rivière gelée, impressionnant
serpent de glace. Au XIXè siècle, l'endroit a connu la
fièvre de l'or et un promeneur curieux peut trouver dans les
montagnes des dragues qui achèvent de pourrir. En cette veillée
d'armes, nous sacrifions à la tradition et trinquons à
notre bonne fortune sans omettre de verser quelques gouttes de vodka
sur le lac.
Je quitte seul au
petit matin, en éclaireur, soupçonnant mes amis de vouloir
tester mes compétences. Le paysage est éblouissant, enchanteur,
irréel : des montagnes coiffées de blanc qui plongent
dans une mer gelée. Mais une première faille me remet
rapidement les pieds sur glace : elle m'apparaît tout simplement
infranchissable. Pendant deux heures je la parcours, la scrute dans
tous les sens mais ne découvre aucun passage. Décidant
de la longer, je finis par m'empètrer dans des monceaux de glace,
cubes empilés parfois jusqu'à trois mètres de hauteur.
Plus loin, l'eau
de la faille a gelé en surface pendant la nuit et je tente enfin
une traversée : la roue avant perce la glace et je retiens mon
vélo de justesse ! A la seconde tentative c'est la roue arrière
qui passera à travers mais les larges sacoches reposant sur la
glace fine empêcheront l'ensemble de couler...
Une immense gaufrette
Mes amis, qui m'ont
rejoint, filent de l'avant ; je les regarde disparaître, deux
petits points noirs dans le grand blanc par un fort vent du nord. La
neige a été soufflée, la glace est lissée.
Je monte sur le vélo, pédale et part progressivement ...
en arrière ! Il me faut donc marcher, lutter, des heures face
au vent, à plusieurs kilomètres de la berge afin de raccourcir
le chemin à parcourir.
Andreï tire
une réserve d'essence de 200 litres car les motoneiges russes
ont le défaut, parmi d'autres, d'être gourmandes. La remorque
est bien lourde. Trop lourde. Elle passe à travers ! Fort heureusement
l'expérience du pilote et la puissance de sa machine lui permettent
d'éviter le plongeon fatal. Seul un trou dans la glace témoigne
de sa frayeur, que nous évoquerons en soirée sur la grève
face à un feu gigantesque. Nous avons fait aujourd'hui trente-neuf
kilomètres.
A l'aube, je pars
casser la glace, à la hache, pour le café. Le soleil se
lève sur le lac : tous les matins du monde...
La neige et la glace
fondues en journée et restées en flaques sur la banquise
ont gelé en surface pendant la nuit et cette fine couche de glace,
au matin, craque sous mes roues : j'ai l'impression de rouler sur une
gaufrette, immense et froide. Mais le Baïkal est changeant et plus
loin, vitrifiée par un soleil puissant, la glace est lisse et
dure comme un miroir. Après plusieurs chutes je dois me résoudre
à marcher, ou plutôt patiner, en poussant 'l'engin bleu',
mon vélo. Les fractures sont bien larges par cette chaleur (
jusqu'à 20°C ) et à chaque franchissement resurgit
l'irrépressible peur de plonger dans l'abysse. Andreï et
Boris, trop lourds, risquent leur peau dans ces conditions et il leur
faut faire demi-tour maintenant.
Terrible Sarma
Non loin, au niveau
de la passe de l'île d'Olkhon, un endroit toujours dangereux,
la glace est déjà trop fine. Je ne peux contourner cette
passe et l'île par la droite, en 'pleine mer', car si j'y suis
surpris par le Sarma, un vent local dévastateur, je ne pourrais
revenir vers la berge. Me voici donc à l'embouchure de la rivière
Anga que je vais remonter vers une piste qui divague dans les collines,
sur 80 kilomètres, avant de reprendre la route de glace.
Et un vent se lève.
Forcit rapidement. Forcit encore. C'est le Sarma. Intermittent, avec
des rafales terribles. Un vent qui me fera rester deux jours sous la
tente aplatie, complètement abruti par le bruit de la toile qui
claque. Jamais vu ça !
Au troisième
jour, une accalmie me permet de repartir. Mais je dois rapidement m'arrêter
: tempête de grésil. Près d'un totem Bouriate. Les
indigènes Bouriates, aux endroits qui leurs sont sacrés,
accrochent des morceaux de tissu à des arbres ou des poteaux,
afin de s'attirer la clémence des Dieux. Cette tradition, issue
du chamanisme, rappelle les drapeaux de prière du bouddhisme
tibétain. Une tradition plus récente consiste à
boire de la vodka en ces lieux et il vaut mieux faire attention où
l'on met les roues : le sol est jonché de bouteilles cassées.
Plus loin dans les
collines, dans un paysage de steppe, je longe de temps à autre
de petits lacs salés gelés. Des Bouriates semblent en
extraire le sel. Je m'approche. En fait ils pêchent sous la glace,
avec un assemblage de bois archaïque qui permet de râcler
les fonds, une sorte de crevette qui servira d'appât pour le délicieux
omoul du Baïkal.
La piste est vraiment
terrible, encombrée de cailloux, de pierres et mon porte-bagages
avant est fatigué : il casse ! Je me dirige donc, sacoches sur
le dos, vers le village de Tchernoroud. Le maire, une femme comme bien
souvent, me propose un lit dans l'internat décrépi. Les
jeunes filles du lieu disparaissent dès mon arrivée puis
réapparaîtront coiffées, sapées, maquillées.
Pensez-vous, un Français ! Mais je vais me coucher, je suis si
fatigué. Désolé.
Dès la réparation
effectuée, je repars le long de 'Maloe More', la 'petite mer'
( partie du lac Baïkal à l'ouest de l'île d'Olkhon
). Les arbres, épars sur les collines, trônent. Noueux
à souhait, tannés par tant d'éléments contraires,
devenus durs comme la pierre pour avoir résisté à
tant d'assauts, ils respirent la force.
Les mouettes crient
et je stoppe ma caravane sur une plage, non loin d'une camionnette qui
vient juste de piquer du nez dans le lac.
Phoques, ours,
loups et papillons
Au matin, après
avoir pris le thé dans un hameau, je continue par la glace de
la petite mer, le ventre gonflé de poissons ( en Sibérie
à toute heure, prendre le thé c'est manger ). Il y a ici
des endroits dangereux et l'on m'a conseillé de demander mon
chemin aux pêcheurs. Ce que je fais. Un groupe d'entre-eux m'invite
à goûter des oeufs de poisson grillés, arrosés
de 'spirt' ( de l'alcool à 90è coupé d'eau du Baïkal...
). Ces Sibériens sont sur la glace depuis deux semaines et, brûlés
de soleil, imbibés de mauvais alcool, ils ont subit le Sarma
pendant deux jours : il a dévasté tout leur campement.
Un ours est venu leur rendre visite : il a avalé tout ce qu'il
pouvait ( peut-être un petit creux après six mois de sommeil
? ). Mais un ours brun sur la glace, c'est très rare, dois-je
les croire ?
Plus au nord, il
n'y a plus personne sur le lac et je suis des traces de pneus imprimées
il y a déjà longtemps sur la banquise. Une perche me permet
de tester les failles et les passages douteux, jusqu'au village d'Ongourion,
tout de bois, caché dans les montagnes. Le village est relié
au lac par une piste boueuse et je m'enlise car l'heure est à
la 'raspoutitsa', la fonte des neiges, qui transforme toute la région
en immense bourbier. La nuit est tombée et le hameau est éclairé,
de-ci, de-là, par une ampoule solitaire, grâce à
un groupe électrogène. Jusqu'à minuit. Après,
seules oscilleront les lumières des phares des side-cars d'ivrognes
qui errent.
Les prochaines habitations
sont à 250 kilomètres. Ici commence la région la
plus sauvage du lac : le 'wild'. Etranger, fais tes prières !
Comme le printemps
est en avance, les ours sont déjà réveillés
et, après un si long jeûne, affamés. C'est la période
de l'année où ils sont le plus dangereux. Les villageois
me confirment aussi ce que j'avais précédemment pris pour
une blague : il y a des loups ! Nombreux cette année...
Les chasseurs de
nerpa sur leurs drôles de vieux side-cars, fusil en bandoulière,
ne comprennent pas que je sois seul et sans arme. Ils ne comprennent
pas non plus le sens de mon voyage ( moi-même, parfois, je me
demande... ). Lorsque ces tueurs à trois roues filent vers le
large, plus particulièrement vers l'île de Bolchoï
Ouchkani où les phoques abondent, je poursuis mon chemin vers
le nord, un peu tendu. Des papillons inattendus, posés par inadvertance
sur la glace, y restent collés.
Le camion de la
peur
Chaque jour le climat
nocturne devient plus rigoureux. La latitude et deux chaînes de
montagnes, culminant à 2600 mètres de part et d'autre
du lac, s'y appliquent. Dans cette région, je compte passer mes
nuits dans des 'zimavio', des refuges parsemés sur la côte.
Celui d'aujourd'hui est une ancienne habitation, seule survivante du
kolkhoze érigé ici dans les années vingt. La maison
est noire de crasse, jonchée de détritus, mais elle possède
l'essentiel, une porte qui ferme et un foyer qui tire. Je la partage
avec des rats peu farouches.
Il gèle encore
fort la nuit par ici ( jusqu'à -20°C ) et la glace est plus
solide, apparemment même assez pour le six tonnes qui effectue
régulièrement, depuis Ongourion, la liaison avec les villes
du nord. Question : 'C'est pas un peu dangereux pour un camion alors
que les voitures ne circulent plus ?'. Réponse : 'Si ça
l'est pour les autres, ça ne l'est pas encore pour nous'. Le
'salaire de la peur', version Baïkal.
Quand le soleil
darde, ses rayons font luire, reluire les cristaux : le lac étincelle.
Attention les yeux ! Un point orange m'attire vers le large ; c'est
un pêcheur et sa femme qui ont posé leur cabane de bois
sur la glace, au milieu de nulle part ( il y a toujours quelqu'un au
milieu de nulle part ). Soupe de poisson bien sûr. Sacha, le vieux
pêcheur, m'apprend à reconnaître les signes avant-coureurs
du 'Gorne', un vent d'ouest particulièrement violent dans cette
région.
Plus au nord, la
banquise est encore parcourue de véhicules, pour ravitailler
les chasseurs de phoque. La route consiste en des traces de pneu dans
la neige. J'y ajoute l'empreinte zigzagante de 'l'engin bleu', puis
celle de mes pas, car il y a de plus en plus de neige...
La cabane de ce
soir, à demi-enterrée, est cernée par un enchevêtrement
à perte de vue de glace déchirée, broyée,
éjectée du lac sous l'effet de friction des plaques gelées.
Ce dangereux champ de blocs instables et les congères qui lui
succèdent sont bien pénibles à franchir. Enfin
à l'abri, j'observe le crépuscule : le lac est à
son plus beau lorsqu'il est 'éteint' et que les montagnes qui
l'encadrent se teintent de rose. Dire qu'il y a tant de glaçons
et que je n'ai même pas de pastis...
Neige épaisse,
glace trop fine
Je roule vers le
cap d'Elokhin lorsque deux huskys sibériens se mettent à
me poursuivre. Quelqu'un habite ici. D'ailleurs un coup de feu tonne
: une invitation à prendre le thé. Boris, qui vit de trappe,
de pêche et de chasse, hiver comme été depuis cinq
ans, a le blues aujourd'hui : 'Bien sûr l'endroit est superbe
mais toujours tout seul comme un moine c'est dur, je n'ai vu ni ma fille
ni ma femme depuis un an, mon voisin et ami vient de mourir après
trente-cinq ans de vie sauvage, j'ai lu tous les livres de ma bibliothèque
quatre ou cinq fois et les nouvelles du pays à la radio sont
toutes mauvaises'...
Piotr, le nouveau
voisin, à douze kilomètres, est d'humeur plus joyeuse.
Après la soupe de poisson, nous devisons devant une tasse de
thé d'au moins un litre. Les ours tout d'abord ; ils ne seront
là que dans une quinzaine ( bonne nouvelle ) car il fait trop
froid près du lac par ici et ils en sont encore à gratter
des racines dans les vallées voisines. Ils viendront se rassasier
de poissons dès que la rive sera débarassée de
sa gangue de glace. Les zibelines ensuite ; Piotr est fier de sa performance,
il en a piégé quarante-cinq cet hiver lors de ses tournées
sur de larges skis en bois et peau de phoque. Mais le trappeur est encore
plus fier du corbeau qu'il vient juste de tuer à grande distance
d'une balle en pleine tête. Voici donc l'heure du concours de
tir. Les bocaux de verre éclatent dans la taïga. Mon hôte
est sidéré de constater que je suis aussi bon tireur que
lui, et je le quitterai chargé de présents.
La couche de neige
s'épaissit de jour en jour et la gaufrette est désormais
( de bas en haut ) de glace, eau, neige et glace au matin et de glace,
eau et neige ( soupe ) en soirée. La 'route', loin de la berge,
là où sont passés voitures et camions, est praticable
jusqu'en début d'après-midi. Après, il faut patauger.
J'ai déjà
croisé ce matin le camion de la peur et en voici quatre autres,
hors d'âge, qui tirent d'énormes traîneaux. Quel
trafic aujourd'hui ! Ils roulent en éventail, on dirait les chevaliers
du lac. Mais les tâches de sang qu'ils sèment derrière
eux, si rouge sur la neige, ne laissent aucun doute quant à leur
cargaison : des peaux de phoque.
Je songeais ce jour
rejoindre le cap Kotelnikovsky, mais il y a tant de neige que je dois
réduire mes ambitions. Je me dirige donc vers un refuge. Dans
cette baie, lorsque mes pas percent la neige, de l'eau remonte, ruisselle,
clapote et la glace ne m'apparaît pas solide du tout. A la trouille
de passer à travers, je préfère encore celle des
loups et pose ma tente sur la berge la plus proche. En raison de la
neige épaisse, je songe que les carnassiers ne s'aventureront
pas par ici. J'allume tout de même un grand feu avec en tête
les images d'une publicité française où l'on voit
un campeur cerné par les loups, auquel il ne reste qu'une allumette
pour enflammer son tas de bois...
Un camion dans
le lac
Les bêtes
affamées ne sont pas venues mais me voici aux prises avec un
grave problème : si j'ai encore des allumettes, je n'ai plus
de cigarette ! Depuis deux jours ! Je repère enfin, aux jumelles,
un trappeur qui traverse une crique et file lui 'taxer' ( il n'en reviendra
pas ) des 'Prima', cigarettes fumables uniquement quand il n'y a rien
d'autre de disponible.
La couche de neige
diminue désormais au fil des kilomètres et la 'route'
s'améliore. Joyeux ( le bout du lac se profile à l'horizon
), je pédale vers le village de Baïkalskoe, laissant de
côté les eaux thermales qui fument ( elles aussi ). Devant
moi, les roues arrières d'un camion viennent juste de percer
la glace. Mais l'engin ( de dépannage ) ne coule pas et, à
l'aide de troncs d'arbres, qui serviront de leviers puis de soutènement,
nous le tireront de cette situation périlleuse. Je trouve à
me loger au village, une centaine de maisons aux fenêtres de bois
sculpté. Soupe de poisson ...
Le très vieux
camion de la coopérative a eu moins de chance que son collègue
de dépannage et il repose sur le fond. Mais les Sibériens
ne l'abandonnent pas pour autant ; à l'aide de pics ils cassent
la glace, fabriquent un chenal afin de treuiller progressivement le
véhicule vers la rive. En quatre jours ils ont bien dû
faire trente mètres. Encore deux fois autant et l'épave
sera renflouée !
Hormis ces récupérateurs,
il n'y a personne ce matin sur le lac, c'est interdit depuis deux jours.
La glace sera mauvaise jusqu'au bout, l'eau reluit par endroits : le
printemps m'a rattrapé. Dernières frayeurs. Puis ... la
plage. Le terme. Sévérobaïkalsk !
Les Bouriates éprouvent
un sentiment mystique pour le Baïkal et pensent qu'il est un être
vivant, un magicien et un guérisseur, avec lequel il ne faut
pas plaisanter. Et surtout ne pas le mettre en colère ! Ils le
nomment, avec respect, 'la mer' ou 'le Vieux'.
Pour m'avoir laissé
passer et pour tant de beauté, MERCI 'le Vieux' ! Erigée
dans les années 70, lors de la construction de la voie ferrée
du BAM ( Baïkal - Amour - Magistrale ), Sévérobaïkalsk
abrite 35000 âmes dans des baraques de bois 'temporaires', prévues
à l'époque pour ne durer que quelques années. La
ville a un indéniable goût de Far-Ouest. C'est d'ici que
je partirai pour la suite de mon voyage vers Vladivostock, le long du
BAM.
Aujourd'hui un bain
fabuleux m'attend ( dix-sept jours d'efforts sans un morceau de savon...
), puis une fête au café-dancing 'Russe'. Je songe, en
regardant danser les jeunes filles en mini-jupe, que, décidément,
la Sibérie est bien riche en ressources naturelles...
Guy JEANDON
Irkoutsk, mai 97
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