28 février 1998. Oust-Bargouzin. Un village de bois
figé dans sa torpeur hivernale, entre un lac de glace et des
montagnes abruptes aux gorges profondes. La nuit est tombée,
les rues sont silencieuses, froides, gelées. Le passage des voitures
a tracé des sillons brillants dans lesquels se reflète
la lune. La neige étouffe les bruits. Seuls hurlent les chiens.
Au loin, faiblement éclairé, le 'Santa Barbara' local
: quatre maisons à deux étages. Juste avant, une venelle
luisante descend en pente douce jusqu'au centre de secours. Andreï,
l'homme de garde, a dix-neuf ans. Lassé d'une journée
figé devant la télévision en noir et ... vert,
il sort prendre l'air. Arnaud et moi devenons seuls responsables du
centre, avec comme consigne de ne pas répondre aux appels radio.
Ce n'est pas le moment d'avoir besoin de secours ...
Le lendemain à six heures du matin, il faut enjamber des corps
endormis sur le plancher brun pour rejoindre la cour. Le thermomètre
annonce -17 degrés centigrade, nous partons par la rivière
gelée. Le jour se lève et la glace, rosie par l'astre
montant, se strie, se colore de blanches bulles d'air et d'herbes prises.
A l'embouchure, la plage (de sable en été) est recouverte
de monticules de neige et de glace. Certaines de ces collines sont creusées
de grottes, on dirait des vagues figées dans leur mouvement par
un froid géant. C'est d'ailleurs les vagues d'eau et de froid
successives qui ont construit cette architecture de dunes gelées
: le lac commence à geler par la plage. Chaque année,
la nature architecte renouvelle le spectacle.
Un petit vent se lève, brûle les oreilles,
l'expédition commence. Nos crampons griffent la glace. Nous sommes
seuls. Enfin presque : le mètre d'épaisseur de la glace
permet le passage des véhicules et une camionnette de pêcheurs
passe en pétaradant sur la 'route' balisée de sapins plantés
dans la banquise. Car le lac gelé est loin d'être lisse
: des blocs de glace expulsés sous l'effet de friction des plaques
forment d'immenses champs infranchissables. Ces sapins-balises, visibles
de très loin, nous aident dans notre progression car notre radeau
artisanal ne résisterait pas à la traversée des
zones tourmentées. Nous avançons donc aisément
jusqu'à une station météo abandonnée. La
seule maison encore debout sera notre chaumière du jour. Très
froide. Le feu d'enfer du fourneau, inlassablement bourré jusqu'à
la gueule, ne suffit pas à faire taire la buée qui s'échappe
de nos bouches. A côté de l'âtre, un petit lit épargné
témoigne du passage
d'un enfant. En face, une armoire défoncée contient des
films abandonnés par ces scientifiques de l'extrême. Des
chercheurs qui ont accumulé, chiffre après chiffre, jour
après jour, cahier après cahier, des données météorologiques.
Les meubles éventrés regorgent de ces cahiers
poussiéreux, parfaits pour allumer le feu.
5 mars. Nous atteignons l'île de Bolchoï Ouchkani. Enfin.
Cela faisait trois jours que nous l'avions en point de mire, qu'elle
semblait si proche, était si loin. Les distances sur le Baïkal,
désert de glace, sont fort trompeuses. Sur l'île (quatre
kilomètres sur deux) vivent six personnes. Nous sommes les visiteurs,
passons chez tous. Chacun nous parle de la difficulté de vivre
confiné, coincé sur un îlot. Nadia est à
la retraite depuis quatre années mais sa pension est si maigre
qu'elle doit continuer à travailler. Elle nous reçoit
à la station météo baignée d'une odeur surprenante
: si la première moitié de la pièce est jonchée
d'engins de communication, l'autre l'est de cages à poules. Tout
en alignant d'incompréhensibles chiffres dans des cahiers, elle
s'épanche : 'Les agents météo ont toujours été
une très bonne clientèle pour les asiles psychiatriques.
Nous travaillons dix mois d'affilée en pensant à nos deux
mois de vacances. Dès mon retour ici, je compte les jours qui
me séparent de mes prochaines vacances. Il n'y a rien sur l'île,
pas de magasin, la télévision est cassée et nous
voyons toujours les mêmes têtes'. A force d'être les
uns sur les autres, les insulaires ne peuvent plus se voir, ne se supportent
plus et s'enferment chacun chez soi, sur soi. Bien que souvent prostré
d'ennui, Anton, six ans, est le rayon de soleil d'Ouchkani ; entrant
spontanément dans tous les appartements, il fait la liaison entre
les adultes. Mais l'année prochaine Anton doit être scolarisé,
il partira en pensionnat sur le continent.
Une des particularités de l'île d'Ouchkani est d'être
le refuge préféré des nerpas du Baïkal, uniques
phoques d'eau douce à l'origine encore mystérieuse. En
cette saison, ils nagent sous la glace, respirent par les failles et
se réfugient sous les congères. Invisibles. Ils ne pointeront
le bout de leurs moustaches que vers la mi-avril, lorsque la glace commencera
à fondre.
Nous quittons l'île pour rejoindre la côte est
du lac à dix-huit kilomètres. Mais il a neigé et
notre radeau des glaces a une garde au sol trop basse : il ramasse la
neige fraîche, l'accumule, se transforme en chasse-neige, en monument.
Pendant des heures, nous tentons toutes
sortes de modifications inopérantes. Il ne nous reste plus qu'à
tirer comme des forçats, silencieux, résignés,
notre engin rebaptisé 'la chariote'. De plus, Arnaud est de mauvaise
humeur : il vient de parcourir de nombreux kilomètres supplémentaires
à la recherche de la thermos qui s'était détachée
du traîneau. C'est lui qui l'avait mal arrimée. Je l'ai
regardé s'éloigner, devenir -malgré les jumelles-
aussi petit qu'un point, puis disparaître dans le grand blanc.
Cette thermos
et son liquide fumant nous réconfortent tant dans la journée.
Lorsque la nuit tombe, nous approchons enfin de la berge. Et apercevons
des traces fraîches. Des traces d'ours. Toutes fraîches.
Un ours si tôt réveillé, c'est pas normal. Malade
probablement. Affamé et fort dangereux, sûrement. A peine
plus loin, la glace se met à gronder,
à gauche, à droite, sous nos pieds. Elle vibre. J'ai une
sensation de chaleur dans les jambes, l'impression qu'un geyser va jaillir
de sous nos pieds. Par chance, il n'en sera rien, les plaques de glace
se sont frictionnées mais aucune faille ne s'est ouverte. Réfugiés
sur la rive, nous faisons gronder un feu immense, aux fonctions multiples
: nous réchauffer (il fait -25°C), assurer le spectacle,
réduire notre appréhension des ours et, accessoirement,
mettre le feu aux pantalons en gore-tex. Les flammes éclairent
notre maigre campement : à gauche de la tente, une hache plantée
dans la neige. A droite, un gobelet d'essence et des allumettes. Tout
autour, les étoiles. Le froid. La nuit. Sibérienne.
Le lendemain soir, après la traversée d'une
baie de douze kilomètres, nous approchons de Kiberkouille où
se trouve, nous a-t-on dit, une cabane de trappeur. En chemin, des pêcheurs
sous glace nous offrent une dizaine d'omouls, poisson délicat
du Baïkal. Un ancien raconte comment il a arrêté de
fumer : 'Au début de l'ère Gorbatchev, je ne reçut
plus que quatre paquets de cigarettes par mois. C'est si peu. Que faire
? Fumer des branches ? De l'herbe ?' Le mieux pour lui a donc été
d'arrêter. Par obligation. 'C'est comme ça', dit-il, sans
le moindre ressentiment. Etonnante abnégation d'un peuple.
Yvan 'Baradoï' ('Le barbu') n'a pas, lui, arrêté de
fumer ; des Prima, cigarettes locales, noircissent ses doigts et sa
cabane entière, en continu. Douze années de taïga
solitaire ont rendu l'homme un peu sauvage, ours. Et alcoolique. Et
nous n'avons pas de passeport (de la vodka) ! A force de diplomatie,
nous obtenons tout de même l'autorisation de coucher sur le plancher
au niveau duquel l'air, qui se renouvelle par les interstices entre
les planches, est plus respirable.
10 mars. Près d'une rivière gelée, se trouve un
'zimavio' (refuge). Sur la carte. La rivière impassible existe,
mais pas le zimavio. Démoli. C'est déjà la deuxième
fois qu'on nous fait le coup.
11 mars. Il fait moins trente degrés. Assis sur la
glace, par un vent qui glace, nous déjeunons d'une soupe dans
laquelle nous trempons du pain parfaitement gelé, coupé
à la hache. Heureusement, au loin, nous apercevons Davsha, un
hameau de 80 âmes. Depuis le port, un ponton de bois dans une
gangue de glace mène au village. D'abord la station météo,
ensuite l'unique magasin, fermé l'an dernier (où allons-nous
donc nous réapprovisionner ?), les habitations, le musée,
la poste et le bureau de l'Office des Parcs Nationaux. Au fond, un aéroport
enneigé, incongru, inutile et inutilisé, surplombe le
tout. Evgueni, employé du parc national, nous accueille. Après
une collation de pain et de thé, il nous mène, par un
chemin gelé parsemé de bouses de vache, vers une sorte
de bunker, seul bâtiment en béton du village. Délabré.
L'intérieur, bien que vide, n'est que désordre. Des morceaux
de plafond traînent sur le sol. Trois marches mènent à
une seconde salle où achèvent de rouiller un portemanteau
et deux baignoires encastrées dans le sol. L'une d'elles déborde
de gravats. La seconde accueille un tuyau de type épuration,
duquel coule en permanence ... de l'eau minérale chaude ! Quel
bonheur que celui d'un bain de cow-boy fatigué dans une station
thermale ! Les
pieds sales dépassent de la mousse du shampooing (qu'il a fallu
dégeler).
Le lendemain, profitant de l'électricité due à
la visite annuelle des médecins, nous visitons le musée
glacial. 'Le froid est bon pour la conservation des bêtes empaillées',
nous affirme Evgueni. De leurs yeux de verre nous observent des ours
et des loups, des zibelines, des porte-musc, des taïmens gigantesques
et des phoques d'eau douce. Evgueni raconte : 'Dans l'écosystème
local, une variété de pin prédomine. Ce pin produit
des graines appréciées par les zibelines et
les ours, d'où l'abondance de ces deux espèces dans la
région'. En soirée, nous sommes invités à
déguster des ombles royaux chez une entomologiste. Les gardes-chasse
sont de la partie. Youri, une force de la nature, un géant, arrive
le premier. Cet ancien boxeur porte sur le nez des verres, épais
comme des pare-brise, qui augmentent l'effet de rougeur de ses yeux
: Youri est ivre. Il avoue avoir bu de la vodka pour éteindre
la douleur consécutive à sa visite chez le dentiste. Les
autres gardes-chasse arriveront dans le même état d'ébriété,
sans que le dentiste en soit responsable pour autant. Dans cette ivresse
générale, bribe par bribe, touche par touche, s'offre
à nous le tableau de la vie quotidienne du parc national. Le
directeur est haï. C'est un fossile de la période communiste,
un petit Staline avec lequel il a d'ailleurs une ressemblance physique.
Ce dinosaure englué est indifférent à tout. Sauf
aux bakchichs. Les braconniers lui achètent de la tranquillité,
il se contente d'empêcher ses hommes de patrouiller. Tous les
gardes-chasse semblent résignés et vivent de l'air du
temps, de farniente et
d'indolence. Tous, sauf un. Youri, amoureux fou de nature, pense à
ses enfants, petits enfants : 'Au rythme actuel, ils ne connaîtront
plus l'abondance du lac et des rivières'. En effet, les taïmens,
lenoks et autres gigantesques bouche-bées des ondes disparaissent
progressivement. Les habitants des berges, désormais sans emploi,
survivent des richesses naturelles les entourant : jusque là
tout va bien. Mais le commerce s'en est mêlé et les eaux
sont surexploitées. De par sa position de garde-chasse, Youri
pourrait, en braconnant, faire vivre aisément sa femme et ses
deux enfants, car le poisson se vend cher. Mais, de par son passé
de boxeur peut-être, Youri a gardé la volonté de
se battre. Une volonté et un courage aveugle car il n'a pas le
moindre moyen et ne fait que gigoter dans une nasse, tel les poissons
qu'il tente de protéger. Il empêche ses voisins, ses amis,
sa famille de braconner et ne fait que déclencher ce qu'il appelle
'le terrorisme de village': son unique vache vient d'être volée.
Un coup très dur. Ses collègues, eux, n'attendent que
le départ en retraite, dans deux ans, du chef véreux.
Mais d'ici là,
Davsha n'existera probablement plus : l'approvisionnement du village
revient trop cher aux Parcs Nationaux qui songent à reloger les
habitants dans les tours de béton d'une banlieue de Nijnéangarsk,
au nord du lac. Les employés ne viendront plus ici, dans ce paradis
de nature, qu'en mission ponctuelle. D'après le triste théorème
de l'économie de marché ...
Après avoir pu, non sans mal, dégotter du
pain et quelques boîtes de viande chez les habitants, nous quittons
Davsha avec la promesse à Youri de lui procurer des chaussures
neuves de taille 47. Il en rêve depuis si longtemps.
Vendredi 13 mars. C'est la pleine lune. Les loups rôdent.
Mais cela ne fait rien, nous sommes à l'abri au coin de l'âtre
d'une très rustique chaumière. Les tenanciers de l'isba,
un très vieux couple installé ici depuis ils ne savent
plus quand, nous ont accueillis de façon sibérienne (traduisez
: très chaleureusement) dans une orgie de pâtés
au chou, de myrtilles glacées et de gâteaux à la
graisse de phoque. L'endroit s'appelle le 'Kordon Siéverné'
et ici aussi les vaches disparaissent. Mais ce sont les ours qui les
emportent. Les deux dernières il y a trois et cinq ans. Cette
année, bien que la neige ait été abondante sur
le Kordon, ce sont les loups qui menacent. Chacun son tour.
Le soleil se couche et enflamme tout le paysage. Le lac
scintille. Les morceaux de glace éclatée, éjectée
de la banquise par la friction des plaques, sont autant de vitres qui
lancent des reflets oranges. Des champs de miroirs flamboient. Encadré
de montagnes teintées rose, sous un ciel brûlant, le lac
a pris feu.
Le lendemain, en approche du refuge de la rivière Kabargan, la
couche de neige réaugmente. Nous décidons de partir pour
une traversée de cinquante kilomètres, nuit sur la glace
à la clé, vers la côte ouest où il y en aura
certainement moins. Au loin apparaissent trois points noirs. Ce sont
des pêcheurs qui s'affairent ; tout d'abord, à l'aide de
pics, ils creusent dans la glace un trou de vingt, trente centimètres
de diamètre. Puis, avec un fil à plusieurs mouches fixé
à un bâton, ils
pêchent. Figés comme le froid, très concentrés,
attentifs au moindre mouvement, le poids de l'eau qui gèle autour
du fil leur fait parfois imaginer une prise inexistante. Ces pêcheurs-buveurs
vont rester deux ou trois jours sur la glace. La nuit, ils dormiront
dans leur voiture. Pour ne pas geler, les moteurs resteront allumés.
Si vous comptez passer la nuit en tente, éloignez-vous de ces
pêcheurs ou vous aurez l'impression de dormir sur un parking de
supermarché.
Pendant deux jours, par un fort vent de face, nous avançons
péniblement sous la surveillance d'immenses montagnes blanches
et impassibles qui plongent dans le lac. Des montagnes jusqu'à
trois mille mètres entre lesquelles serpentent des rivières
gelées. Il fait nuit depuis longtemps lorsque, éreintés,
au prix de marche forcée pour éviter d'avoir à
dormir à nouveau sur la glace balayée de grands vents,
nous approchons de la côte ouest. A tour de rôle, pendant
que l'un épie les
sonneries du téléphone satellite posé sur le chargement
(ce qui aura permis à Arnaud, ravi, d'apprendre que sa feuille
d'impôts était arrivée), l'autre tire, au jugé
dans le noir, perdu dans le bruit de ses crampons. S'il s'arrête,
le traîneau restera collé à la glace. S'il tombe
sur une zone d'anfractuosités, nous resterons coincés
sur la glace. Les permanences téléphoniques sont toujours
de grands moments. La surprise sera pour le réveil, depuis la
tente posée entre les congères
de la rive : nous sommes passés, au hasard, entre de grands champs
tourmentés infranchissables. Au cap Kotelnikovsky surgit des
profondeurs une bienfaisante eau sulfureuse à 60°C. Une mini
station thermale a vu le jour il y a vingt ans lors de l'épopée
de la construction du BAM ou Baïkal-Amour-Magistrale, un dédoublement
du Transsibérien dans des régions quasi inaccessibles.
Oeuvre gigantesque, chantier du siècle pour les Soviétiques,
cheval de bataille de la propagande communiste, gouffre financier, cette
voie ferrée est aujourd'hui pratiquement inexploitée.
La station thermale, malgré des vitres remplacées par
des bâches plastique, fonctionne encore. Joie. Juste à
côté se trouve un refuge occupé par deux jeunes
pêcheurs du kolkhoze de Baïkalskoe, un village situé
à quarante kilomètres au nord. Ces deux novices passent
ici, seuls, quatre mois d'hiver à pêcher sous la glace.
Leur seule nourriture provient des poissons qu'ils
pêchent et d'un sac de farine, accroché au plafond à
l'abri des souris. De temps à autre, ils sont livrés en
pains et cigarettes. Un jour ils pêchent, un jour (ou deux) ils
se reposent. Une vie hors du temps.
Au petit matin, l'un d'eux, Volodia nous emmène à la pêche,
par la route de glace. Nous embarquons sur un traîneau d'une autre
époque, tiré par un cheval bourru aux sabots cloutés.
C 'est 'Docteur Jivago' version Baïkal. Au début nous filmons,
photographions Volodia, l'aidons à chaque escale à percer
la glace, vider les nasses, tuer les dix ou quinze poissons et les rendre
plats à l'aide d'un gourdin avant qu'ils ne gèlent. Mais
le vent sévit, nous transforme en glaçons et l'expédition
devient moins romantique. Petit à petit, de plus en plus frigorifiés,
nous nous recroquevillons sur nous mêmes, cessons toute activité
hormis celle de maintenir le traîneau sur ses deux 'skis' car
il se disloque et le renversement menace à chaque aspérité
de la glace.
De retour au refuge, il ne restera plus qu'à se décongeler
(doucement pour minimaliser la douleur) puis réparer le traîneau.
Le 20 mars, nous atteignons le nord du lac, Sévérobaïkalsk,
une ville de 35000 âmes à moitié détruite,
à moitié délabrée, à moitié
en construction. Un goût de far ouest. Nous logeons dans une école
construite au temps des pionniers du BAM. Ce bâtiment qui menace
ruine brasse tous les aventuriers de la région. Un groupe de
sept Lituaniens vient d'arriver et l'ambiance est morose, un des leurs
a été emporté hier par une avalanche. Viennent
aussi de revenir d'expédition trois ouvriers de l'usine d'acier
de Jéleznogorsk, une triste ville noire. Ces trois personnes,
qui travaillent toute l'année pour des salaires de misère,
passent leurs vacances en haute montagne à se brûler le
visage
de soleil et de vent glacial, sur des skis en bois. Leur équipement
est invraisemblable, tout est fait maison : les vêtements, la
tente (à partir de parachutes récupérés),
les gamelles, le poêle à bois et même la nourriture
lyophilisée. Ils sèchent, déshydratent eux-mêmes,
par un système mystérieux, du bortsch, une soupe consistante
à base de chou, de viande et de betterave. Tout est sorti de
leurs mains. L'amour des Sibériens pour leur nature est à
l'image de celle-ci : démesuré. Nous quittons Sévérobaïkalsk
par le vol 506 pour Irkoutsk. Dans l'Antonov rafistolé, j'imagine
que la compagnie aérienne locale et
l'église orthodoxe ont conclu un pacte nommé 'Plus près
du ciel, plus près de toi mon Dieu'. Arnaud s'est endormi dans
des rêves de Baïkal.
Au revoir Vieux Lac. Merci. A bientôt.