Le premier septembre
97, nous arrivons à Irkutsk, capitale de la Sibérie orientale.
Après une courte escale à Moscou, notre avion d'Air Baikal
atterri non loin du lac au pays de Michel Strogoff Nous avons comme
projet de descendre une partie du lac Baikal en kayak. Perle de la Sibérie,
80% de l'eau douce russe, Ses rives s'étendent sur 650 km de
long et une de ses particularités la plus marquante est sa profondeur
pouvant atteindre 1700 m.
Si nous avons choisi Thierry et moi cette destination lointaine, c'est
que j'ai déjà parcouru le Baïkal à pied l'été
précédent, et que je le sais propice à assouvir
notre passion du kayak et des grands espaces. Thierry, que ses occupations
retiennent en France ne peut rester en Russie plus de trois semaines.
Il nous faut perdre le minimum de temps en ville, faire les courses
et rallier au plus vite le nord du lac. Nous vérifions les kayaks
sous toutes les coutures, vérification loin d'être superflue,
ils n'ont pas servi depuis 3 mois après ma dernière expédition
de 2300 kilomètres sur la Léna.
Deux jours nous suffisent pour tout mettre au point, faire les courses
et préparer nos bagages.
Pour atteindre le Nord du Baikal, nous nous embarquons depuis Irkutsk
sur le Rocket, petit hydrofoil, qui navigue sur l'Angara jusqu'à
Lystvianka au bord du Baikal, Irkustk est distant du lac de 80 km. Nos
kayaks ont beau être complètement pliables cela nous amène
quand même à emporter une énorme quantité
de bagages. Les Russes nous observent, inquiets, se demandant ce que
contiennent tous ces sacs.
En face de Lystvianka nous changeons de bateau pour le long trajet vers
le nord. Nous voici sur la Comète, énorme hydrofoil qui
vole littéralement sur les flots à plus de 70 km heures
de moyenne. Ils nous faudra tout de même 9 heures de trajet pour
atteindre la ville de Severobaikal. Plus les heures défilent,
plus Thierry découvre
l'immensité du Baikal. Même moi qui ai parcouru tout le
Nord du lac à pied un an auparavant suis fort impressionné
par le spectacle, les vagues se déchaînent, le ciel est
noir et cette mer intérieure chaque heure qui passe nous semble
plus sauvage. Nous nous imaginons mal pour l'instant parcourir cette
étendue en kayak. Je reconnais des endroits que j'ai déjà
parcourus, rien de tel pour se redonner un peu confiance.
Vers vingt heures nous arrivons enfin à Severobaikal, ville sinistre
qui a connu son apogée au moment de la construction du BAM (bolchoï
Amour Magical ) Ligne de chemin de fer reliant Moscou à Vladivostock
Plus question d'avoir d'états d'âmes. Thierry reste sur
le quai pour surveiller les bagages, je fais des allers retours pour
décharger. Enfin un peu d'action qui dissipe les doutes de cette
longue journée passée à regarder défiler
le paysage.
Il ne nous reste
au mieux que trois heures de jour pour partir de cette ville sinistre
et monter nos bateaux au bord du lac. En arrivant près du port,
j'ai remarqué des datchas au bord de l'eau une route y accède
sûrement. Nous négocions avec le chauffeur d'une Lada l'embarquement
de notre barda. La voiture nous dépose au bord du Baikal au bout
d'une route défoncée où se trouvent des datchas
en construction. Nous monterons plus tranquillement nos kayaks dans
cet endroit isolé. La nuit
va bientôt tomber, il nous faut trouver un coin pour dormir au
plus vite. Nous optons pour le premier étage d'une datcha en
construction. Nous avons le toit mais pas les fenêtres, un grand
courant d'air glacé balaie la pièce. C est l'aventure
qui commence, il faut se satisfaire de ce que l'on trouve.
Réveillés au petit jour, dés 6 heures du matin,
nous nous affairons à monter nos bateaux. Nous ne voulons pas
être surpris par les propriétaires des maisons. Il fait
un peu froid, mais le lac est très calme. Nous essayons les kayaks
à vide, le montage étant correct, nous pouvons les charger.
En deux temps trois mouvement nous voilà partis !
Nous n'osons y croire, oui nous ramons bien sur le Baikal, grande satisfaction
de ce dire "nous y sommes enfin ". Nous parlons peu, car nous
sommes attentifs au moindre bruit, nos kayaks réagissent bien,
même lourdement chargés. Nous sommes émus et un
peu inquiets, devant nous des centaines de kilomètres d'eau à
parcourir. C'est devant l'obstacle que l'on réalise vraiment
l'étendue du défi.
Après une bonne heure, bien réchauffés, l'atmosphère
se détend vite. Nous pagayons plus détendus, un vol de
canard nous accueille par un survol à basse altitude, le silence
est impressionnant, juste perturbé par des battements d'ailes.
Loin devant, nous apercevons une grosse houle. Plus nous avançons
plus l'agitation du lac se confirme, les vagues viennent du large et
nous sommes vite dangereusement ballottés.
Prudents nous longeons la côte, le Baikal nous a accordé
deux heures pour nous habituer puis c'est déjà la tempête.
Le vent ne cesse de forcir, il nous faut accoster. Pour éviter
que le kayak ne se retourne dans les vagues, la jupe enlevée
je saute à l'eau et le tire sur la berge. J'aide Thierry qui
accoste à son tour, nous voici déjà trempés.
Nous devons au plus vite allumer un feu pour nous réchauffer.
Le vent est glacial et c'est avec difficulté que nous y parvenons.
Réchauffés, nous cuisons des pâtes, rien de tel
qu'un bon plat chaud pour remonter le moral des troupes. Nous nous concertons
avec Thierry, monter la tente ou patienter un peu, si le lac se calme,
il sera toujours temps de repartir.
La simple idée de s'arrêter après seulement trois
heures de navigation nous parait impensable, nous patientons donc. Le
vent par chance se calme un peu, le moral au beau fixe nous repartons.
Mais le vent et les vagues nous ralentissent considérablement.
Vers 14 heures nous faisons une pose bien méritée dans
une petite crique à l'abri du vent et convenons que pour une
première journée nous avons déjà bien ramé.
Reposés nous repartons à la recherche d'un emplacement
pour la nuit. Un peu avant cinq heures, nous découvrons un coin
idéal pour camper là ou une rivière se jette dans
le lac.
Des plages de sable vont nous permettre de nous installer au bord de
l'eau. Les tentes montées, nous ramassons du bois pour la nuit
et le dîner. Dans ce genre de voyage ce n'est pas parce que l'on
s'arrête de ramer qu'il n'y a plus rien à faire, au contraire
il faut s'occuper de l'essentiel, le feu et la tente. Nous vidons les
kayaks du matériel, vérifions que tout à bien tenu
le coup, alors il est enfin l'heure de partir à la pêche.
La rivière nous attend, notre dîner en dépend.
Cette rivière pourrait faire rêver les férus de
pêche à la mouche, l'eau est cristalline et descend rapidement
des montagnes. Très vite nous pêchons des ombles et des
truites qui prennent rapidement là direction du feu. Nous faisons
le bilan de notre première journée, au mieux nous avons
parcouru vingt kilomètres, avec cette météo défavorable,
cela nous donne une moyenne très lente, mais pour une mise en
route nous nous en sortons bien.
Le lac est redevenu
calme, le soleil couchant à l'horizon fait rougir les montagnes
aux sommets enneigés, aucun bruit autour de nous si ce n'est
le clapotis de l'eau. La nuit tombée nous filons vers nos sacs
de couchage, la journée de demain risque d'être longue.
En m'endormant je fais de petits calculs, j'avais prévu un trajet
de 400 km, si l'on doit longer les côtes tout le temps à
cause du vent c'est peut-être 600 qu'il faudra parcourir. Il va
nous falloir tenir des cadences soutenues car l'avion de Thierry ne
pourra attendre. Levés dès sept heures du matin, le petit
déjeuner avalé, nous sommes vite sur l'eau, elle est très
calme et l'on aperçoit en face l'autre rive à 40 km de
là. Sur la rive Ouest, nous longeons des montagnes dont les sommets
culminent à 2900m.
L'immensité des paysages est impressionnante, et l'on se sent
ridiculement petit sur nos coques de noix au milieu de cette mer. Il
n'y a que le bruit de nos pagaies pour perturber le silence. Dès
que nous longeons les plages nous apercevons les fonds limpides, l'eau
est incroyablement transparente, nous accordant une visibilité
de 40 m.
Cette journée
et les deux suivantes se passent fort bien, nous prenons confiance et
nous nous permettons de couper au plus court les grandes criques du
lac. Il nous arrive de naviguer à plus de 3 km des côtes.
Tous les soirs nos bivouacs rivalisent de beauté, près
d'une rivière, d'une cabane de chasse, ou au milieu de la taiga.
Nous pagayons un bon 8 heures par jour, soit une trentaine de km.Le
3ème jour nous apercevons même des phoques, animal endémique
du Baikal, c'est la seule espèce de phoque qui puisse vivre en
eau douce, avec le zoom de mon appareil photo, j' arrive à les
photographier.
Déjà 5 jours que nous sommes partis d'Irkutsk, nous n'avons
aperçu encore âme qui vive.
Nous avons le sentiment d'être là depuis déjà
une éternité et le début de la matinée se
déroule sans problème hormis les quelques ampoules aux
mains qui commencent à éclater.
Avec le froid et l'humidité omniprésents, nos mains seront
rapidement pleines de crevasses et de plaies, à tel point que
mon quart finira bientôt au fond du lac faute de pouvoir le tenir
correctement dans mes mains meurtries.
Thierry aura la même mésaventure quelques jours plus tard,
puisque sa montre finira elle aussi ses jours au fond du lac.
Heureusement elle était étanche, car tout porte à
croire qu'elle donne désormais l'heure aux poissons du Baikal
par 1000 mètres de fond !
Sereins alors que nous sommes loin des côtes nous ne voyons pas
les nuages noirs qui fondent sur nous. En 10 mn nous passons d'un temps
clair à la catastrophe, nous voilà surpris comme des débutants.
Il faut nous battre pour revenir vers la rive au plus vite. Le vent
est plein contre, les vagues nous ballottent dans tous les sens.
Nous nous ruons vers la côte, pagayant à tour de bras,
hyper concentrés car le moindre déséquilibre pourrait
nous être fatal. Nous n'avons aucune envie de goutter l'eau du
lac, pour la boire tous les jours nous la savons bien froide, pas plus
de 5 degrés. Heureusement nos kayaks sont extrêmement stables
même dans ces conditions difficiles. Nous atteignons la berge,
le coeur à trois cents à l'heure et nous enregistrons
la leçon.
A l'avenir il faudra
que nous soyons plus attentifs aux caprices du lac. Nous prenons la
résolution de ne jamais nous éloigner, car en dix minutes
le temps peut changer. Le lac restant trop agité pour repartir
nous passons la journée à l'abri dans la forêt ou
le vent souffle moins.
Petit kilométrage pour grande peur pourrait être le titre
de cette journée. Dans la soirée le soleil revient, le
vent se calme, mais nous sommes trop bien installés pour repartir.
Tout près du campement nous découvrons un étang
au pied de la montagne, nous y partons plein d'ambition, mais cette
fois la pêche reste infructueuse, ce soir ce sera riz au lait
en Sibérie.
Le sixième jour le vent est toujours là, et toujours de
face, nous avançons prudemment. Le Sommet des montagnes reste
dans les nuages, la taïga nous montre un visage sombre, elle nous
semble encore plus vaste que d'habitude. On imagine sans mal les ours
s'y promenant, cachés sous cette vaste forêt de sapins.
Dans l'après-midi, bonne nouvelle, le vent change enfin de direction.
Nous hissons les voiles, sans effort nous sommes avec cette petite brise
bien plus rapides qu'à la rame. De temps en temps nous essuyons
quelques grosses bourrasques. Le GPS calcule des pointes jusqu'à
20 km heure, une vraie croisière. Ce changement de temps nous
ramène en plus le soleil, la journée se termine par une
bonne heure de rame, pour ne pas perdre la main ! D'après la
carte nous avons un bon 45 km au compteur, belle journée.
Plus nous avançons plus l'autre rive s'éloigne, elle se
trouve à 78 km ; on ne peut pas s'imaginer être sur un
lac devant une telle étendue.
Ce n'est pas pour rien que les Bouriates appellent le Baikal la mer
sacrée.
Le lendemain vers midi nous accostons près d'une rivière
magnifique. Au mois de mai c'était un gros torrent qui nous avait
posé bien des problèmes pour être franchi, aujourd'hui,
nous découvrons un calme ruisseau. Quel endroit idéal
pour une pose ! Mais à peine arrivés nous aperçevons
l'étrave d'un bateau qui se dirige
vers nous. Premier signe de vie depuis des jours, n'ayant aucune raison
de nous cacher nous saluons les marins. Le bateau se dirige droit vers
nous, j'aperçois des costauds en uniformes sur le pont. Le fusil
en bandoulière, ils nous regardent à la jumelle. Même
si nous n'avons rien à nous reprocher cette visite ne nous amène
rien de bon. Les voilà qui mettent une barque à l'eau,
ils se dirigent vers nous. Nous les aidons à accoster et leur
serrons chaleureusement la main en signe de bienvenue. A l'écusson
sur leurs blousons je reconnais les gardes de la réserve du parc
de Bouriatie. Il ne nous faut pas longtemps pour avoir une idée
du motif de leur visite. Le plus petit apparemment le chef, nous demande
nos passeports et visas ; pendant que Thierry se fait piquer ses cigarettes
je vais chercher les papiers. Je traverse un bras de la rivière
en faisant exprès de me tremper, comme pour bien leur montrer
que s'ils veulent fouiller les kayaks ils devront en faire de même.
Car j'ai dans la tête un objet démonté au fond du
kayak, à utiliser en cas de problème avec un ours que
nous ne voulons surtout pas qu'ils découvrent. Je fais le trajèt
inverse le plus décontracté possible. Le petit chef ne
manque pas de nous faire remarquer que nos visas sont pour Irkutsk et
non pour 700 km plus loin.
Je fais semblant d'ignorer l'importance de ce détail. Je reconnais
tout de même que nous sommes un peu loin d'Irkutsk, mais après
tout nous sommes de simples touristes en ballade !
Pour une ballade, ils trouvent que je pousse un peu ; puis ils nous
menacent de nous ramener à notre point de départ Severobaikal.
L'affaire prend une mauvaise tournure. Heureusement l'un d'eux découvre
l'insigne sur mon blouson du service des sauveteurs du lac. Mais d'où
vient ton insigne ? Je ne mets pas longtemps à leur raconter
mes différentes sorties avec mes amis du service de secours de
Sluidyanka, sautant dans la brèche qui m'est offerte pour nous
tirer d'affaire. L'un deux connaît même mon ami Victor,
chef de ce service. Voyant que nous avons une connaissance commune nous
ne sommes plus de simples étrangers. Voilà qu'ils nous
proposent un arrangement si nous acceptons de payer une autorisation
de séjour sur le lac, ils nous laissent continuer.
Après une mascarade de savants calculs, ils annoncent la couleur,
100$ sera leur prix fixe et non négociable. Nous acceptons immédiatement
leur offre. Après des recommandations sérieuses pour éviter
les incendies, ils embarquent, c'est avec beaucoup de satisfaction que
nous les regardons partir. De retour à Irkutsk, nous apprendrons
que ces types ne plaisantaient pas, au mois de juillet ils ont ramené
au Nord une expédition qui refusait de les payer. Le papier que
nous avons chèrement monnayé est un véritable laisser
passer et surtout, par chance ils n'ont pas fouillé nos kayaks
! Nous repartons de suite l'appétit coupé par cette rencontre.
Dans l'après - midi nous rencontrons cette fois ci des pêcheurs,
fort sympathiques, ils nous réconcilient avec les Russes. Ils
nous racontent qu'ils passent l'été sur les rives du lac,
vivant uniquement de la pêche. Ils sont fort surpris que l'on
puisse venir du Nord dans de telles embarcations. Le soir une bonne
séance de pêche nous remet de cette dure journée.
Le lendemain vers midi nous nous arrêtons dans un des rares villages
de cette partie du lac. C'est un endroit où se trouve des sources
d'eau chaude canalisées dans deux piscines dont l'une est extérieure.
Le responsable de
la piscine moyennant quelques roubles nous invite à nous y plonger.
Trois minutes après nous nageons dans une eau à 45 degrés.
Notre préférence va bien sûr vers la piscine extérieure,
nous barbotons avec vue sur les montagnes, et ressortons de cette baignade
revigorés.
Après avoir chaleureusement remercié les habitants nous
repartons pour quelques heures. Le lac est à peu près
calme mais au bout d'une crique commence une forte houle. Des creux
à ne plus voir le bateau qui est 10m devant. Impossible d'accoster
car des falaises bordent le lac sur des kilomètres. Après
une bonne heure de grosses difficultés, j'attends Thierry sur
une plage à l'abri des vagues. Mais pas de Thierry à l'horizon,
après un bon moment je le repère enfin, je hurle mais
il ne m'entend pas, par chance il tourne la tête et pique vers
le rivage.
Dès qu'il accoste, il me raconte un peu énervé,
qu'il a failli chavirer plusieurs fois et me reproche de ne pas l'avoir
attendu. Nous convenons à l'avenir de ne pas trop nous éloigner
l'un de l'autre afin de limiter les risques.
La soirée
se déroule autour d'un énorme feu et cet incident est
vite oublié. Au petit matin nous nous apercevons vite que la
fumée du feu part dans l'autre sens, c'est signe de vent dans
nos voiles. Nous organisons une régate où nos deux kayaks
rivalisent dans le réglage des voiles. Dans l'après-midi,
le vent tourne au sud et forcit beaucoup ; Thierry a 10 mn d'inattention,
grisé par la vitesse, il s'éloigne rapidement des côtes.
Puis très vite c'est la tempête, quand il réalise
son erreur, il est déjà loin.
Du bord je l'aperçois qui tente d'enlever sa voile, il pique
droit sur la rive, il me semble qu'il recule plus qu'autre chose. Il
lui faudra une bonne demi-heure pour atteindre la berge, à son
retour il me parlera de sa grosse frayeur en me disant qu'il a failli
tout laisse tomber se voyant perdu ; puis l'instinct de survie a fait
le reste, pour refuser de se laisser crever. Décidément
rien ne pardonne sur le Baikal.
La soirée nous apporte le plaisir de parler avec nos familles
grâce au téléphone satellite. Engin extraordinaire
qui raccourcit le monde. Nous omettons bien sur de leur raconter les
incidents de la journée ! plus les jours passent, plus nos kayaks
s'allègent des denrées consommables, c'est à qui
se séparera au plus vite de ses boites de conserves. Pour manger
plus souvent du poisson nous adoptons la technique de la pêche
à la traîne, celle ci donne de bons résultats ;
mais au moindre souffle d'air il faut vite tout remballer.
Au soir du 12ème
jour nous arrivons à une cabane occupée par des gardes
forestiers du Baikal, j'avais déjà couché là
en mai dernier et je pensais bien y retrouver des visages connus, en
fait nous sommes accueillis par deux jeunes fort sympathiques, et leur
chef, qui organisent une véritable petite fête en notre
honneur. Vodka pour tout le monde et en plus ils nous réservent
une surprise, vers 22 heures : ils ont fait chauffer le bagna : nous
allons nous laver ! Le bagna est une sorte de sauna typiquement sibérien,
construit dans une cabane en bois juste au bord de l'eau.
Quand nous en ressortons nous contemplons le clair de lune. Sur l'instant,
nous avons l'impression d'avoir toujours vécu là tellement
nous sommes intégrés à la nature qui nous entoure.
En peu de temps notre rythme de vie s'est transformé pour devenir
celui du vent, des vagues et de ces hommes qui sont déjà
marqués par la dureté du climat. Au petit matin, nos amis
pour des raisons administratives nous ponctionnent quelques milliers
de roubles, mais cette fois ci nous les leurs donnons avec plaisir.
La nuit suivante nous semble un peu plus dure car nous nous sommes vite
réhabitué à la chaleur d'une maison. Les jours
passent et il nous faut bien arriver à la conclusion suivante,
malgré 8 à 10 heures de pagaie par jour il nous reste
encore beaucoup de km pour arriver à l'île d'olkhon. Les
provisions s'épuisent vite et nous ne sommes pas de grands pécheurs,
pour nous consoler, certains pêcheurs nous donneront comme explication
que les poissons restent à cette période au fond du lac
à cause des tempêtes qui secouent la surface ... !
Il nous faut trouver une solution pour rejoindre Irkutsk sans aller
jusqu'à l'île d'Olkhon.Je me souviens avoir vu au mois
de mai s'arrêter à la station météo de Stolnichnaya,
le comète pour y prendre des passagers.
Voilà peut-être la solution à nos problèmes
de timing . Volodia, chef de la station, est un ami, avec un peu de
chance il se débrouillera bien pour arrêter le bateau du
retour. Par ailleurs près de l'île d'Olkhon sévit
un vent terrible le Sarma qui peut atteindre 150 km heure, ayant déjà
essuyé de bonnes tempêtes nous ne voyons aucun inconvénient
à éviter cette zone.
Espérant que la chance sera avec nous, nous ralentissons la cadence,
il nous reste 80 km à parcourir avant la station météo,
nous décidons de les faire en quatre jours, ce qui nous permet
de ramer tranquillement et de profiter un peu plus de notre séjour.
En arrivant à la station météo vers deux heures
de l'après-midi, nous ne rencontrons pas tout de suite Volodia,
il dort se remettant difficilement de sa dernière cuite.
Thierry s'attendait à rencontrer un savant, spécialiste
de climatologie, le voilà bien surpris quand il rencontre Volodia
; il titube et nous sert deux grands verres de vodka que nous ne pouvons
refuser, nous évitons de justesse la deuxième tournée
et lui parlons de notre projet d'arrêter la comète.
Il n'y voit aucun problème et nous promet son aide. Par chance
le Comète devrait même passer demain, d'après Volodia
il sera au large de la station vers 10 heures le lendemain matin.il
se chargera de nous y conduire avec son bateau. Volodia, qui vit là
depuis toujours, connaît bien le capitaine du Comète, il
n'y aura donc aucun problème pour que nous fassions du bateau-stop.
Nous passons la soirée à démonter nos kayaks et
à ranger tout notre matériel. Volodia vient nous rendre
une petite visite dans la cabane qu'il a mie à notre disposition
avec une bouteille à la main, elle laissera des séquelles
pendant deux bonnes journées.
Le lendemain nous
sommes prêts à embarquer à l'apparition du Comète.
A 10 heures, réglé comme une pendule, il est là,
nous partons aussitôt à sa rencontre. Quand il nous aperçoit,
le capitaine lève le pied et se dirige vers notre petite embarcation.
Une dernière émotion nous attend, car l'accostage se passe
mal, la houle plaque notre petit bateau de pêche contre l'étrave
de l'hydrofoil et notre pare brise vole bientôt en éclats.
Sans perdre notre sang froid, nous parvenons à jeter nos sacs
sur le pont et à nous hisser à bord, il ne nous restent
que quelques instants pour faire nos adieux à Volodia et faire
l'acquisition d'une bouteille de vodka pour le remercier de sa gentillesse.
Tard dans la soirée, un peu sonnés de retrouver la civilisation
après 18 jours de grande nature nous retrouvons nos amis à
Irkutsk. De notre voyage, ne reste que de merveilleux souvenirs. Les
paysages envoûtants du Baikal nous habitent encore aujourd'hui
et nous invitent à un nouveau voyage.
De retour en France nous n'avons plus qu'une idée en tête,
repartir au plus vite.