Mardi 6 juin,
Une brume monte du lac qui prend des reflets d'argent, les montagnes
qui l'entourent se dessinent en ombres chinoises, c'est notre dernier
jour sur le Baïkal. Soudain je me sens très triste car je
vais quitter ce lieu magique et les amis que nous y avons rencontrés
: Arno, bien sur, mais aussi Alexis Golovinov, Sergueï Pijdjanov
(que l'on voit en photo), le capitaine Sergueï et Larissa, sa femme,
Adelina, Tamara, Olga, Irina la biologiste, Eugeni le pianiste, conservateur
du musée Volkonski qui nous a fait si bien revivre la vie d'Irkoutsk
au XIX°, sans oublier Anton, le charmant petit elfe
Certains
d'entre eux parlent un beau français comme celui des nobles russes
du XIX°siècle dont c'était la langue courante, d'autres,
langlais. Avec ceux qui ne parlent que russe, nous nous comprenons
par des sourires.
La magie de ce lieu,
elle se situe dans le paysage et l'on comprend pourquoi les habitants
alentour le vénèrent comme un dieu, comme une source de
vie et de régénérescence. L'eau y est si pure et
si transparente. Sur ses rives, la taïga où les blancs bouleaux
ressortent sur le fond sombre des résineux, s'étoile des
taches roses des azalées en fleurs.. Des rochers de marbre blanc
se détachent sur les plages de sable clair ou sombre. Blanches
aussi, les coulées de neige tapissent le sommet des montagnes.
Multicolores, les
zones de rocailles sont peuplées de mille fleurs endémiques
et aïeules de nos jardins d'Occident.
Mais la magie réside aussi dans les êtres qui nous ont
accompagnés tout au long de notre périple, ils nous ont
touchés par leur extrême gentillesse et par leur générosité.
Le charme slave n'est pas une légende.
Nous sommes au bout du monde, au fin fond de l'Asie, en Sibérie
Orientale, au cur de la Rus-sie et pourtant nous ressentons chez
ses habitants, une sensibilité très proche de la nôtre.
À Listvianka,
pour la première fois, nous voyons le lac bleu sous le soleil,
comme une mer int-érieure avec l'autre rive si lointaine. Derrière
les étals fumants des pêcheurs qui proposent à l'avenant
des poissons saurs sur place, délicieux d'ailleurs, ce sera la
base de notre nourriture, nous apercevons notre bateau, pimpant sous
sa peinture bleue et blanche avec quelques lignes de rouge. Nous allons
en faire notre lieu de résidence pendant 10 jours et c'est avec
nostalgie que nous le quitterons.
Outre nos cabines,
nous y avons trois lieux privilégiés : le carré
où nous prendrons le petit-déjeuner et le dîner,
la "salle à manger " d'été à l'arrière
où nous aurons la chance de pouvoir déjeuner en plein
soleil et le salon d'hiver d'où nous admirons le lac, plus à
l'abri, quand le vent fraîchit.
Dès le premier
soir, nous accostons à une plage de rêve : sable blanc,
pins aux formes étranges, fleurs de toutes sortes
Nous avons
du mal à réaliser en regardant l'eau transparente que
nous ne sommes pas dans un lagon du Pacifique, mais en pleine Sibérie,
que l'eau n'est pas salée, mais glacée
Plus loin
une falaise à pic sur le lac nous révèle des gravures
rupestres au milieu de tous les graffitis réalisés par
les "touristes russes" passés par là depuis
des dizaines d'années
Olkhone, la grande
île pleine de beauté, nous abrite dans l'une de ses anses,
pour une nuit; les filets posés ramèneront de beaux poissons
argentés. Ombles et omouls, une sorte de petit salmonidé
qui ne vit que dans le Baïkal, feront notre ordinaire, leurs ufs
orangés préparés à la russe, tartinés
sur du pain noir, en soupe délicieuse avec des oignons, des pommes
de terre et du laurier, grillés, frits, rôtis, sous la
braise, crus, saurs ou salés
Ouzoury, hameau de quelques maisons et station météo nous
offre un mouillage tranquille au pied de falaises d'où nous avons
une vue sublime sur le lac.
Puis nous traversons
le lac pour l'île d'Ouchkhanij, un tout petit point sur la carte,
taïga en réduction, parsemée de fleurs, entourée
de plages d'où émergent des rochers blancs comme neige.
Nous y dormons dans une anse calme où viendra discrètement
nous visiter un phoque timide et curieux dont nous apercevons le petit
museau noir
Au-delà de Bargouzinsky,
la presqu'île aux deux mille ours (nous ne verrons que leurs traces),
l'une des plages du golfe Tchviykousky nous permet de nous plonger dans
une petite piscine d'eau naturellement chaude (40°) un vrai délice.
Dans ce golfe très découpé où la nature conserve
son état originel, se succèdent d'innombrables plages, anses,
îlots rocheux où les goélands couvent en toute tranquillité
leurs beaux ufs tachetés.
Plus haut, nous
faisons une superbe ballade autour d'un étang plein d'oiseaux
canards de toutes
sortes, mouettes et surtout un merveilleux aigle qui plane longuement
au-dessus de nous, à notre grande joie. Nous apercevons aussi
un fugace et lourd orignal, galopant dans la taïga.
Avant d'entrer dans
la petite mer (Malai More) nous allons admirer l'étrange sculpture
que forment les rochers à la pointe d'Olkhone, une silhouette
de femme bouriate "violée" par les vagues continuelles
du lac
Olkhone, la perle du Baïkal avec ses longues plages
de sable dominées par le célèbre et massif rocher
du Chaman (un chaman aurait habité la grotte qu'il renferme),
sorte de mont Saint Michel local.
Le principal village de l'île, Khoujir nous laisse une impression
mitigée : jetée défoncée, bateaux rouillés
et échoués, population entièrement bouriate",
touchant petit musée, maisons de bois, de bric de broc, poussière,
chaleur... Mais nous sommes au bout de notre recherche, le dépaysement
absolu.
Loin de la foule,
des touristes, le Baïkal se mérite. Lieu privilégié
et préservé, où la réserve d'eau douce qu'il
constitue pour la planète doit être protégée,
comme un bienfait de Dame Nature.
Si loin, au cur de l'Asie, et si proche de nos curs par
ses habitants. Au retour sur la route d'Irkoust, un immense aigle impérial
s'envole près de nous, il nous paraît être un signe
positif: nous reviendrons au lac Baïkal dont nous sommes tombés
amoureux.
Hélène
Le Bihan