OPERATION
"DES
VETEMENTS POUR LES GAMINS DES RUES D'IRKOUTSK"
Comme vous le
savez peut être pour avoir de temps en temps lu mes papiers dans le
magazine (cliquez
ici pour un exemple), je suis français, je vis à Irkoutsk et j’y
organise des voyages sur le lac Baikal.
Pour une fois, le
sujet qui me préoccupe n’est pas le Baikal, les magnifiques aventures
que nous y vivons, la pollution ou non du lac ou tout autre sujet le
concernant. C’est un sujet non moins grave : les enfants
abandonnés d’Irkoutsk. Il vivent comme beaucoup d’enfants
du Brésil ou d’ailleurs, à la merci de la drogue, de la prostitution
et de bien d’autres fléaux.
Souvent je suis
passé près d’eux, sans vraiment les remarquer ou sans vouloir
les remarquer, bien tranquille dans ma tour d’ivoire. Un événement,
que j’aurais aimé éviter, m’a ouvert les yeux sur la face
cachée des rues d’Irkoutsk....
Rendez-vous
avec la misère d’un hôpital pour grands brûlés...
Il y a quelques
semaines de cela, de retour d’une petite course en ville, j’ai
entendu, du bas de l’escalier, des hurlements dans mon appartement.
Ma fille de 15 mois venait de se renverser une casserole d’eau
bouillante sur le menton et le torse. 45 minutes plus tard, celle-ci
était transférée dans le seul hôpital pour grands brûlés de toute la
région d’Irkoutsk et d’une partie de la Yakoutie (soit un
hôpital spécialisé un territoire grand comme 4 fois la France).
La salle où elle
est accueillie porte le nom pompeux de salle de " réanimation ".
De salle de réanimation, elle n’en porte en fait que le nom. J’y
rencontre des médecins forts sympathiques et sûrement compétents, mais
totalement démunis. J’y intercepte ce type de conversations :
" Bon, il faut opérer dit l’un des médecins. Mais as-tu des
gants ? Non et toi ? De toute façon, nous n’avons plus
d’instruments, alors nous faisons quoi ? Rien... Que veux
tu faire ? ". Ma femme et moi fouillons aussitôt toutes les
pharmacies de la ville pour dégoter une aiguille à perfusion. Plus tard,
nous découvrons que le dénuement matériel n’est que l’un
des versants du problème, l’hygiène est totalement absente de
la salle de réanimation où la saleté n’est que repoussée contre
les murs avec d’horribles serpillères. Notre fille demeurera 4
jours dans cet environnement avant d’être transférée dans l’hôpital
pour enfant d’Irkoutsk, dont l’équipement, heureusement,
est bien plus proche de celui d’un hôpital européen.
Première rencontre
avec Sacha.
C’est durant
la première phase du traitement de ma fille, dans cette salle de réanimation
de l’hôpital des grands brûlés, que j’ai rencontré Sacha.
Celui-ci occupait le lit juste à coté de ma fille. 40 % de la surface
de son corps était brûlée, dont une bonne moitié du visage. Il me fût
difficile, au début, de poser mon regard sur ce gamin de 13 ans, tant
il était défiguré. Sacha avait été atteint par jet d’acide lors
d’une bagarre avec d’autres gamins. J’appris rapidement
que son père avait été tué par des trafiquants de drogue, que sa mère
était morte d’overdose et qu’il n’avait comme maison
que la rue. Sans commentaire…..
Sacha gémissait
dans son lit. J’essayais de le faire parler pour qu’il détourne
son attention de ses douleurs. Il demandait des piqûres. L’infirmier,
qui montait la garde depuis 3 jours sans interruption, lui répondait
sans même tourner la tête " tu as eu ta dose, tu es un drogué,
attend la prochaine piqûre, plus tard, plus tard ".. Chaque jour
passé auprès de mon enfant, je lui ai apporté des pommes, des jus, une
tasse pour boire, un nouveau tee shirt. Nous sommes presque devenus
amis. Lorsque c’était au tour de ma fille de pleurer, Sacha prenait
sur lui et essayait de son mieux de la faire sourire en agitant sa main
pour mimer une marionnette fictive. J’ai pu constater, durant
dans ces moments, combien ce gamin était bon, comme tous les gamins.
Car il n’y a pas de mauvais gamins mais des gamins perdus.
Les médecins, voyant
que je m’occupais un peu de lui, me dirent un jour " mais
pourquoi tu l’aimes bien celui là, c’est un drogué ! "
Ma quête pour
retrouver Sacha et ma rencontre avec les enfants des rues.
Ma fille sortie
d’affaire, je suis retourné à l’hôpital pour apporter des
fruits et du jus, à mon ami. Mais au bout de 4 jours, plus de Sacha.
Sacha avait fuit l’enfer de l’hôpital pour l’enfer
de la rue. Il avait choisi d’être libre sans se soucier du reste.
Seul et dans son état, il ne tiendrait pas longtemps. Sacha devait séjourner
au minimum trois mois à l’hôpital. Il devait être opéré, mais
qui aurait payé ? Personne. Il serait demeuré défiguré mais vivant.
Ne pouvant en rester
là, je pars errer dans les rues à la recherche d’une ombre. Je
questionne les gamins qui vivent sur les quais de l’Angara. Certains
on aperçu Sacha. Je promets 500 roubles à qui m’organise un rendez
vous. J’espère qu’une rencontre lui fera reprendre le chemin
des soins.
Les gamins vivent
en bande de 5 ou 6, ils ramassent comme de nombreux autres adultes perdus,
les bouteilles de bière qui sont consignées. Ils volent pour se droguer,
l’héroïne est très bon marché ici.
J’ai pu discuter
avec l’un d’entre eux. Il ne veut pas rentrer chez lui,
ses parents boivent et n’ont pas de quoi le nourrir. Il me confie
que la rue c’est bien, il y a tout, les bouteilles de bière, les
poissons dans le fleuve et tant de choses dans les poubelles. La vie
est belle. L’insouciance est totale.
Les jours passent
et bien sûr, aucune nouvelle de Sacha. Je ne donne pas ma prime et je
ne distribue plus les billets pour les bières ou, paraît il, pour le
pain. Hier, j’offre 20 roubles à un gamin, son grand frère passe
derrière et les lui prend pour acheter des cigarettes...
Alors que faire ?
Ne rien faire serait plus tranquille, plus " neutre ". D’ailleurs
j’étais le premier à passer devant eux sans réagir. C’est
le malheur qui m’a ouvert les yeux. Comment blâmer ceux qui ne
veulent pas voir ?
Des vêtements
pour les enfants de rues d’Irkoutsk.
En distribuant
de l’argent, je constate que j’alimente leur système d’existence
sans pour autant les aider concrètement. Je décide donc de demander
aux touristes qui viendront voyager en ma compagnie de penser à mettre
dans leurs valises des habits pour gamins de 6 à 15 ans. Je distribuerais
ces vêtements dans l’hôpital pour brûlés ou bien directement dans
la rue.
On a souvent dans
son placard un vieux blouson ou une chemise ayant appartenu à l’un
de ses enfants et qui ferait le bonheur d’un môme de la rue. L’été
arrive. Mais dans quelques mois, le grand hiver reviendra et les gamins
vont crever, crever de froid. Comme chaque année, seuls les plus costauds
reverront l’été.
Pour Sacha, c’est
différent, il sera mort avant l’hiver si je ne le retrouve pas.
Alors chaque soir, je reprends ma bicyclette et je cherche, je cherche
encore.
Voilà pour une
fois une chronique qui ne vous parle pas du grand bonheur de vivre près
de ce joyaux qu’est le lac Baikal. C’est moins gai,
mais il fallait que je la fasse.
Si dans vos tiroirs
vous trouvez une chemise de gamin, un pantalon, une paire de chaussure
que vous auriez jetée un beau matin, un vieil équipement de ski, des
chaussettes, un bonnet, des gants... Mettez tout cela dans un carton.
Un petit paquet de la poste en vitesse lente, cela doit bien coûter
le prix d’une demi pizza !
Mon adresse
ici est la suivante :
664 000 Irkutsk
rue rossiskaya
dom 2 A- 45
Humann Arnaud
arnaud@baikal-lake.org
Merci pour eux.
Si vous ne faites rien, c’est normal. On ne peut pas passez son
temps à pleurer sur la misère du monde, personne ne pourra vous le reprocher.
Une seule chose certaine, c’est que plus l’on partage plus
l’on est heureux.
Passez de bonnes
vacances ! Après cet hiver pluvieux en France vous l’avez
bien mérité.
Amicalement de
Sibérie
Arnaud
Humann