Pour cet hiver 2000,
javais un programme qui me tenait plus que tout autre à
cur, cétait la traversée du lac Baikal dans
le sens de la longueur de lîle dOuchkany à
lîle dOlkhon.
Une bonne centaine
de kilomètres à pied au milieu de nulle part , un défi
permanent, beaucoup dincertitudes car à aucun moment, même
si la glace semble solide, on est sûr de ne pas passer à
travers. La glace est épaisse dau moins 1 m mais par moment,
sous la pression extraordinaire des plaques de glace, elle explose et
là gare à lintrus il ne faut pas se trouver dans
les parages.
Livrés à
la glace du Baikal, pendant plusieurs nuits il nous fallait résister
à des températures bien en dessous de zéro, à
toutes sortes de glaces qui bloquaient notre traîneau. Pour un
tel voyage, il faut de bons partenaires. Prêt à affronter
les difficultés sans pleurnicher, il faut être décidé
à aller au bout. Avec Sébastien je nai pas eu à
me plaindre, bien au contraire. Lorsque vous aurez lu le petit texte
que Sébastien a écrit sur son séjour, vous vous
direz que nous faisons ici un échange damabilités,
et bien ce nest pas le cas, ce fut un vrai et sincère plaisir
pour moi de rencontrer Seb. Voilà un périgourdin de grande
qualité, pour tout vous dire, cest maintenant un ami car
lon ne fait pas un tel voyage sans finir ou ami ou ennemi.
Alors comme à chaque fois cest moi qui vous écrit
et bien pour changer je donne la parole au Périgourdin de Sébastien.
A lheure où
je vous écris, je suis de retour en Sibérie, lhiver
est déjà loin, la neige nest ici quun vague
souvenir. Je partirai sous peu pour plusieurs voyages sur le lac, en
bateau à moteur puis à voile. Dés que jai
un peu de temps, je vous raconterai tout ça.
Allez à bientôt,
La parole est à Sébastien...
Ouchkany
... Olkhon ... à pied
Quelques jours partagés avec un entremets franco-russe nommé
Arnaud
Il y a des hasards
heureux qui vous rendent quelques jours la vie belle et vous donnent
tant de souvenirs qu'on voudrait, sitôt rentré, s'improviser
grand-père
et avoir kyrielle de petits-enfants à qui tout raconter. Des
hasards qui conduisent vers des paysages fabuleux, à la rencontre
de gens pauvres d'espèce, je veux dire de roubles, mais pas d'âme,
d'une humilité flamboyante et d'une gentillesse qui n'ont d'égal
que la rudesse d'un climat entier ou l'ingratitude d'une situation économique
errante.
C'est un peu par
hasard, grâce à une publicité anodine et après
quelques tentatives infructueuses de départ vers d'autres destinations,
que je découvris, sur le
papier, le Baïkal. Il ne me fallait pas plus d'une conversation
téléphonique avec Arnaud, l'indigène français,
grand ponte de l'organisation et de la débrouille mélangées,
pour achever de me persuader. En revanche, et ce sans mauvaise foi aucune,
je me devais de le convaincre quant à mes capacités physiques
et mentales (ce fut plus délicat), car l'expédition pour
laquelle j'avais opté n'était pas piquée des vers
: au moins trois jours et deux nuits sur la glace, 100 kms à
pied de neige, de glace et de tarros (bloc de glace) à tirer
un traîneau, ne s'engloutissent pas comme des merveilles à
la framboise sur une plage, surtout quand nous devions jouer sans chichis
les esquimaux , le soir tombant, le mercure l'imitant.
Je vous parle là
d'une galère, d'un rendez-vous sportif et fraternel, d'un duel
en duo avec un nommé Baïkal à qui j'ai lancé,
en quittant l'île d'Oushkany : " Tu vas voir qui je suis
! On va te mettre le feu ! " Résultat, je me suis quelquefois
demandé ce que je faisais là, au milieu de nulle part
- les tarros ne figurant sur aucune carte - et pour ce qui est des flammes,
un jour de plus à marcher sur cette glace et on eut pu comparer
mes pieds à ceux de Jeanne d'Arc à ses derniers instants.
Néanmoins
au bout de trois jours de marche qui ne sont certes pas promenade, l'arrivée
est belle ; je n'irai pas jusqu'à parler de victoire, ni sur
moi-même ni sur une merveille qui ne demandait rien à personne,
mais de satisfaction et même d'un brin de fierté, bien
permise après une traversée autrement plus longue que
celle de la Bérézina par les troupes de Napoléon
Ier lors de la campagne de Russie en 1812. Je trouve le parallèle
assez amusant bien que disproportionné, car le choix de ce nom
propre, passé depuis dans le langage courant, illustre assez
justement quelques moments du périple. Mais quel pied !
Deux amis d'Arnaud, Alexis et Micha, à notre arrivée sur
l'île d'Olkhon, formaient un comité d'accueil à
la fois chaleureux et sympathique. L'on atteignit même le sublime
quand ils nous apportèrent une grande bouteille de bière.
C'était une bière sans prétentions, et je vous
prie de croire que, malgré deux séjours " houblonesques
" en Irlande, jamais mousse ne m'avait été si douce.
Si la traversée
du lac est un peu le but avoué du voyage, elle ne dure que trois
jours (sans toutefois trop " se sucer la gourmelle "), les
huit ou neuf jours restants ne sont certes pas dénués
d'intensité ni d'émotion. Je pourrais parler du caractère
(déjà évoqué) de ces gens que strictement
rien n'inquiète, d'une nonchalance à toute épreuve,
je pourrais également vous conter la petite histoire de l'omoul,
LE poisson du Baïkal, que nous avons dégusté à
toutes les sauces (y compris cru), vous esquisser cette pourtant viable
ville d'Irkoutsk d'une population comparable à celle de Bordeaux
et qui tient d'avantage, par son aspect, de Beyrouth, de ces taxis improvisés,
de ces forêts de cèdres ou de bouleaux qui n'existent pas
en Europe occidentale, des splendeurs luminaires proposées par
sa majesté le roi Baïkal ou encore du poste de secours et
des trois secouristes d'Ousbark-Ouzin.
Mais non, libre
à chacun d'imaginer ou mieux encore, d'aller se rendre compte.
Néanmoins, pour finir, je souhaiterais prendre de l'altitude
et me diriger une dernière fois vers la Stratosphère,
cette boîte de nuit paradis du célibataire masculin, choquante
et délicieuse, à la fois muséum et galerie d'art.
A ceux qui se demandent si j'y ai pris un train je leur réponds
que s'ils ont envie, eux, d'en prendre un, il n'est pas vraiment nécessaire
de réserver !
A mon désormais
cher Arnaud, j'adresse mes plus satisfaits remerciements pour les moments
exquis d'évasion et de découverte que je lui dois, et
du bout d'une amitié naissante l'assure de ma considération
la plus filiale.
Sébastien
Pommier.